INTERVIEW du sociologue Pierre Merle -«Les décrocheurs ne sont jamais vraiment rentrés dans l’école» - Libération - Par VÉRONIQUE SOULÉ

Cet article souligne des difficultées auxquelles nous sommes confrontés dans le département. Il ébauche quelques solutions pour améliorer la situation.

Pour en savoir plus sur Pierre Merle http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Merle_(sociologue)

Libération - 12 juin 2013 - http://www.liberation.fr/societe/2013/06/12/les-decrocheurs-ne-sont-jama...
INTERVIEW Alors que les chances d’accéder au bac déclinent pour les élèves issus des milieux les moins favorisés, le sociologue Pierre Merle esquisse des solutions. Par VÉRONIQUE SOULÉ
«Trois catégories voient aujourd’hui leurs chances d’accéder au bac décliner: les enfants d’employés de service, d’ouvriers non qualifiés et d’inactifs.» Hier, Jean-Paul Delahaye, Directeur général de l’enseignement scolaire, qui présentait le bac 2013, l’a placé sous le signe des inégalités persistantes à l’école. Le sociologue Pierre Merle explique l’échec d’un système produisant une cohorte de non-diplômés qui, sans bac et avec tout au plus le brevet, seront condamnés au chômage et à la précarité. (Photo DR)
En quoi l’école française est-elle inégalitaire ?
Elle a une spécificité : 17% des élèves en sortent chaque année sans diplôme. Au-dessus de la moyenne de l’OCDE, la France fait nettement moins bien que le Royaume-Uni (8%), la Finlande (7%) ou le Japon (4%). En fait, ces jeunes ne sont jamais vraiment rentrés dans l’école. Ils ont souvent redoublé dès le CP, puis au collège, où ils ont commencé à décrocher. Sans diplôme, ils vont traîner ce handicap toute leur vie.
Comment l’expliquer ?
Les enfants des catégories populaires ne disposent pas toujours du«capital culturel», pour citer Pierre Bourdieu, souvent nécessaire pour bénéficier pleinement des enseignements scolaires ; c’est-à-dire que l’école utilise un langage qui ne leur est pas assez accessible. Ils sont aussi plus éloignés de la culture scolaire. Beaucoup, d’origine étrangère, ont une moindre aisance linguistique, ce qui va peser sur les apprentissages. Les recherches ont aussi montré qu’à 4-5 ans, de grandes différences de connaissances cognitives existent entre enfants de catégories aisées, stimulés sur le plan du langage, et ceux des catégories populaires, qui passent souvent plus de temps devant la télé. L’école ne diminue pas ces écarts initiaux, elle les accentue.
Le contexte scolaire est aussi très important. A Clichy-sous-Bois ou à Aulnay, en Seine-Saint-Denis, la proportion de parents non-diplômés atteint 70-80%. Même convaincus de l’importance de l’école, ils peuvent difficilement aider leurs enfants. De plus, le taux de scolarisation à 2 ans n’excède pas 5% dans ce département - 13% pour la moyenne nationale -, contre plus de 20% en Bretagne, où la population est plus aisée et où les résultats scolaires sont très bons. Notre école donne moins à ceux qui ont moins.
C’est donc une école injuste ?
Oui. Autre exemple d’iniquité : les options. Quelque 10% des collèges favorisés proposent en options au moins cinq langues vivantes, contre seulement 0,1% des collèges défavorisés.
Sait-on ce qu’il faut faire ?
Les travaux de Thomas Piketty et Mathieu Valdenaire ont montré qu’en réduisant sensiblement les effectifs par classe dans les établissements très défavorisés, on augmentait les compétences des élèves concernés. Alors que si l’on ajoute un élève par classe dans les établissements favorisés, cela n’a pas d’effet négatif. Cette politique pourrait donc se faire à moyens quasi constants !
Le dispositif «plus de maîtres que de classes» lancé en primaire à la rentrée va-t-il dans le bon sens ?
Des chercheurs ont récemment souligné que l’on ne savait pas exactement ce que le fait d’avoir un maître en plus dans la classe pouvait donner. Mieux vaut, selon moi, se concentrer sur une ou deux politiques à l’efficacité prouvée. Dans les établissements très défavorisés, allons vers des classes de 15 élèves au CP , des sixièmes à 20, voire moins. Et relançons la scolarisation dès 2 ans dans les zones en difficulté.
L’éducation prioritaire n’est-elle pas censée apporter plus de justice ?
C’est devenu une grosse machine sclérosée.On devrait supprimer ce label rigide car il fait fuir les parents aisés, et imaginer un autre modèle. Dans les projets de réforme, il est prévu de moduler les moyens alloués aux établissements en fonction de leur recrutement social. On donnerait alors réellement plus à ceux qui ont moins. Il faut maintenant que les actes suivent.
Et la pédagogie doit-elle changer ?
Elle devrait être repensée. En France, le système de notation est par exemple très décourageant. La moitié des notes - de 0 à 9 - sont là pour indiquer que le travail n’est pas bon, alors qu’en Finlande il n’y en a qu’une. Il faudrait d’autres formes d’évaluation pour aboutir à une école qui aide et qui intègre, et non qui classe. L’école doit abandonner son obsession de la hiérarchie.
Quel est l’impact du quartier d’origine ?
La mixité sociale des classes et des établissements favorise l’équité et la réussite scolaire. Les élèves des catégories populaires côtoient ceux issus de classes aisées et moyennes qui vont être moteurs, favoriser les ambitions scolaires et augmenter les attentes des maîtres. Mais lorsque la ségrégation sociale et spatiale est forte, la ségrégation scolaire l’est encore plus. Pour la réduire, il faut cesser de différencier les établissements et unifier les offres pédagogiques. Sinon, les parents aisés demandent des collèges avec de l’allemand, des classes bi-langues ou européennes… Le secteur privé, qui n’est pas soumis à des règles de mixité, pose aussi problème et ne peut rester à l’écart d’une réflexion sur les valeurs, l’efficacité et l’équité de l’école.

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